Nous accueillons aujourd'hui le Dr Seth Holmes. Seth est anthropologue et médecin. Il est actuellement professeur à l'université de Californie à Berkeley et directeur de recherche d'un projet du Conseil européen de la recherche à l'université de Barcelone. Il a consacré des années à travailler en collaboration avec les travailleurs agricoles qui contribuent à nourrir les pays occidentaux.
En 2013 et mis à jour en 2023, Seth a publié un livre intitulé "Fresh Fruit, Broken Bodies" (Fruits frais, corps brisés), basé sur 18 mois de recherche ethnographique multi-sites à temps plein. Ce livre a reçu de nombreux prix nationaux et internationaux, dont le prix Margaret Mead (MEED) pour avoir mis les sciences sociales à la portée d'un large public. Le livre offre un examen intime de la vie quotidienne, de la souffrance et de la résistance des migrants transnationaux dans notre système alimentaire contemporain, avec un accent particulier sur les travailleurs indigènes Triqui mexicains.
Au cours de ses recherches, Seth a marché clandestinement avec ses compagnons dans le désert de l'Arizona, et a même été emprisonné avec eux. Il a vécu avec des familles indigènes dans les montagnes d'Oaxaca et dans des camps de travailleurs agricoles en Californie, en Oregon et dans l'État de Washington. Pendant ses études, il a planté et récolté du maïs, cueilli des fraises et des myrtilles et accompagné des travailleurs malades dans des cliniques et des hôpitaux.
Le travail de Seth montre comment les blessures et les maladies des migrants sont le résultat attendu et systématique des systèmes alimentaires transnationaux basés sur le capitalisme, le racisme structurel et les histoires coloniales et impériales.
Bonjour Seth, merci de te joindre à nous aujourd'hui ! Peux-tu nous parler un peu plus de toi et de ton travail ?
Je suis un anthropologue socioculturel de formation et je me concentre sur la santé et les soins de santé, en particulier sur les forces sociales qui ont un impact systématique sur certains groupes de personnes. J'ai également une formation de médecin. Je dirige un projet de recherche basé à Barcelone, en Allemagne et en Californie qui examine comment différents systèmes sociaux affectent la santé et les soins de santé des travailleurs agricoles migrants, des travailleurs de la chaîne d'approvisionnement et des consommateurs.
Pour établir le contexte de cette discussion, peux-tu expliquer le rôle des travailleurs agricoles migrants aux États-Unis ?
Aux États-Unis, comme dans de nombreuses régions d'Europe, les travailleurs agricoles migrants sont les principales personnes qui récoltent nos fruits et légumes. La grande majorité des employés agricoles aux États-Unis sont des immigrés, dont la plupart sont nés au Mexique et sont des migrants non autorisés ou en situation irrégulière. Ils n'ont souvent pas de visa de travail, mais effectuent un travail extrêmement important qui fournit de la nourriture à l'ensemble de la société.
En 2013, tu as publié un livre intitulé Fresh Fruit, Broken Bodies, qui a depuis été traduit en espagnol, en portugais, en allemand, en français (Fruits frais, corps brisés) et en italien. Le livre a été réédité en 2023 avec quelques mises à jour. Quel est la signification de ce titre percutant ?
Le titre du livre cherche à mettre en évidence le fait que les fruits et légumes qui permettent à la plupart d'entre nous de bénéficier d'une alimentation équilibrée proviennent du travail des travailleurs agricoles migrants. Dans le même temps, ce travail a un impact négatif sur la santé des travailleurs agricoles migrants, qui sont penchés toute la journée, récoltant tous les jours de la semaine. Dans de nombreuses régions des États-Unis, les travailleurs agricoles migrants sont confrontés à des taux élevés de lésions musculo-squelettiques, d'exposition aux pesticides et à d'autres problèmes de santé. Le titre reflète cette relation entre la société et les travailleurs agricoles migrants qui fournissent la nourriture, en soulignant l'inégalité : d'un côté, la santé, de l'autre, les blessures et la maladie.
Une idée soutenue par des personnes et des législateurs issus d'un large spectre politique, et pas seulement de l'extrême droite, est que les travailleurs migrants menacent la viabilité à long terme des systèmes de soins de santé et d'assistance. Qu’en est-il réellement ?
Aux États-Unis, la plupart des travailleurs agricoles migrants n'ont pas accès aux soins de santé. La plupart des problèmes qui m'amèneraient à me rendre dans une clinique ne sont pas traités parce qu'ils n'ont pas d'assurance maladie. Dans certains endroits, des cliniques à but non lucratif proposant des tarifs dégressifs ont été mises en place pour fournir des soins de santé aux personnes les plus pauvres, y compris les travailleurs agricoles migrants. Ces cliniques proposent souvent des services de traduction en espagnol, en haïtien et dans d'autres langues afin de mieux servir leurs patients.
Les sociologues et les économistes ont calculéles contributions des immigrants sans papiers aux États-Unis, montrant qu'ils apportent plus à la société qu'ils ne reçoivent. Il s'agit notamment de contributions économiques telles que le paiement de la taxe de vente sur les achats et la retenue d'impôts sur les salaires. Toutefois, comme beaucoup d'entre eux sont des migrants en situation irrégulière, ils ne reçoivent pas de remboursement d'impôts à la fin de l'année.
Ils cotisent également au système de sécurité sociale, même s'ils n'auront pas droit aux prestations de sécurité sociale lorsqu'ils seront plus âgés. Certains juges avec lesquels je me suis entretenu pensent que notre système de sécurité sociale serait bien plus proche de la faillite, ou même déjà en faillite, sans les contributions des personnes sans papiers qui ne recevront pas de prestations plus tard.
Si j'ai intitulé mon livre "Fresh Fruit, Broken Bodies" (Fruits frais, corps brisés), c'est en partie pour encourager les lecteurs à reconnaître que si ces travailleurs fournissent de la nourriture et vous aident à rester en bonne santé tout en étant blessés et malades, c'est à cause de cette relation. Ils fournissent la nourriture et leur travail les rend malades. En tant que lecteurs et en tant que société, nous sommes responsables et leur devons les meilleurs soins et conditions de travail possibles, quel que soit le type d'exploitation agricole dans lequel ils travaillent.
Malgré ce que tu nous rapportes sur l'importance des travailleurs agricoles migrants pour notre système alimentaire, la rhétorique anti-migrants gagne malheureusement en popularité aux États-Unis et dans diverses parties du monde. Toutefois, il semble que certains propriétaires d'exploitations agricoles conservateurs soient favorables à un assouplissement de la situation juridique des travailleurs agricoles migrants. Peux-tu nous en dire plus sur les droits légaux des travailleurs agricoles saisonniers sans papiers?
Aux États-Unis, tous les travailleurs ont des droits en cas d’accident du travail, s'ils ne reçoivent pas le salaire minimum ou si leur contrat de travail n'est pas respecté par l'employeur, quel que soit leur statut d'immigrant. En tant que travailleurs, ils ont des droits, et il est important de garder cela à l'esprit.
Certaines organisations, telles que la Coalition of Immokalee Workers en Floride, ont poursuivi des employeurs en justice. Dans certains cas, les travailleurs agricoles migrants vivaient sur l'exploitation sans avoir le droit de la quitter et étaient contraints de payer le logement, la nourriture et les vêtements à leur employeur. Ces procès, qui portaient techniquement sur des situations d'esclavage, ont été gagnés. La Coalition of Immokalee Workers et d'autres organisations similaires ont permi de sensibiliser le public à l'esclavage moderne aux États-Unis, et aux conditions de vie des travailleurs agricoles migrants.
D'autres groupes de travailleurs agricoles migrants et des groupes de solidarité ont lancé des mouvements en faveur de meilleures conditions de travail, moins d’exploitation et d'une meilleure connaissance de leurs droits.
Tant aux États-Unis qu'en Europe, les conditions dans lesquelles les travailleurs agricoles vivent, la nature de leur travail et les fréquentes violations des réglementations sur les pesticides et les salaires sont décourageantes. Mais le nombre croissant de groupes de travailleurs agricoles migrants et d'organisations de solidarité qui militent en faveur de meilleures conditions me fait garder espoir Ces groupes remportent des procès importants et obligent l'État à les protéger davantage.
Cependant, en ce qui concerne la régularisation des travailleurs, il y a peu de progrès significatifs. Ils vivent avec le risque d’expulsion ou de détention.
Il existe par ailleurs des programmes de travail temporaire, dans le cadre desquels des travailleurs sont amenés directement du Mexique ou d'autres pays pour travailler dans une unique ferme, puis renvoyés chez eux. Ces programmes font l'objet d'un vif débat aux États-Unis et au Canada, car la hiérarchie de pouvoir entre l'employé et l'employeur est extrême. Un employé maltraité peut hésiter à le signaler, car perdre son emploi signifie alors perdre l’autorisation de rester dans le pays.
Cela a permis de sensibiliser le public aux conditions de vie des travailleurs agricoles migrants. D'autres groupes de travailleurs agricoles migrants et des groupes de solidarité ont lancé des mouvements en faveur de meilleures conditions de travail, d'une réduction de l'exploitation et d'une meilleure connaissance de leurs droits.
Au cours de mes recherches, tant aux États-Unis qu'en Europe, j'ai constaté que le traitement réservé à de nombreux travailleurs agricoles migrants était assez déprimant. Les conditions dans lesquelles ils vivent, la nature de leur travail et les fréquentes violations des réglementations sur les pesticides et les salaires sont décourageantes. Toutefois, je garde espoir grâce au nombre croissant de groupes de travailleurs agricoles migrants et d'organisations de solidarité qui militent en faveur de meilleures conditions. Ces groupes remportent des procès importants et obligent l'État à les protéger davantage. Ils expriment également de plus en plus leurs expériences, sensibilisant la société à ce qui est juste et injuste pour eux.
Selon toi, il ne devrait pas être fait de distinction entre les migrants économiques et les réfugiés politiques. Pourquoi ?
J'ai remarqué, tant aux États-Unis qu'en Europe, que les personnes catégorisées comme migrants économiques, qui sont supposés avoir librement choisi d'émigrer, ont moins de droits légaux et moins de compassion de la part de la société que les personnes considérées comme des réfugiés, qui n'ont pas eu le choix. Mais en réalité, l'économie et la politique sont profondément imbriquées, et il est difficile de déterminer qui fait réellement un choix.
Les personnes avec lesquelles je travaille sont considérées comme des migrants économiques par les États-Unis, même s'il y a beaucoup de violence dans leur région, en lien avec la guerre contre la drogue menée par les États-Unis. Des fonds américains destinés à la lutte contre les stupéfiants ont notamment pu être utilisés par les forces de police mexicaines contre des populations indigènes.
L'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), fortement poussé par les États-Unis, est l'une des principales raisons pour lesquelles de nombreuses personnes avec lesquelles je travaille ont quitté leur village natal. Ne pouvantt plus survivre dans leurs villages en cultivant et en vendant du maïs et des haricots, elles sont parties travailler dans des exploitations agricoles américaines, pour pouvoirenvoyer de l'argent à leur famille restée sur place.
Les migrants autochtones oaxaquiens du sud du Mexique que j’ai rencontré m'ont dit que leur seule option pour survivre était d'émigrer. Ils ne se considèrent pas comme des migrants économiques en quête d'une vie meilleure mais contraints par des politiques qui ne leur laissent pas le choix. Cela brouille la distinction entre migration choisie et non choisie, et entre facteurs économiques et politiques.
En quoi l’ALENAempêche ces producteurs mexicains de vivre de la vente de leur maïs ?
L’ALENA interdit au Canada, aux États-Unis et au Mexique d'imposer des taxes sur les produits qu’ils s’échangenet.Toutefois, il n'interdit pas à ces pays de subventionner leur propre production. Donc au lieu de protéger les populations par des droits de douane sur les produits étrangers, l'ALENA protège essentiellement les inégalités du marché. Les pays les plus riches peuvent subventionner leur production, et l’exporter dans des pays plus pauvres sans payer de droits de douane.
Depuis la signature de l'ALENA, les États-Unis ont augmenté les subventions sur le maïs de plus de 300 %, alors que le Mexique ne l'a pas fait, n’ayant pas les ressources nécessaires. De grandes quantités de maïs provenant d'exploitations industrielles du Midwest américain, généralement des monocultures, sont vendues au Mexique à un prix bien inférieur à celui des diverses variétés de maïs cultivées localement (du maïs qui peut être rouge, bleue, jaune, orange, blanc).
Auparavant, les Mexicains cultivaient le maïs et les haricots qu'ils consommaient et vendaient le surplus sur les marchés locaux, ce qui leur permettait de payer les factures d'électricité, d'acheter des uniformes pour leurs enfants,des œufs,des fruits... Avec l'ALENA, cela a changé le maïs américain étant nettement moins cher que le maïs cultivé localement C’est suite à cela que de nombreux autochtones oaxaquiens que je connais ont commencé à émigrer vers le nord du Mexique pour travailler dans les champs de fraises, et aux États-Unis.
Tu expliques comment la concurrence croissante sur les marchés internationaux pourrait obliger les producteurs à rester complices d'un système de ségrégation, dont les cueilleurs sont les principales victimes, simplement pour rester en activité. Si les propriétaires d'exploitations et les cadres supérieurs doivent être tenus responsables de ce qu'ils peuvent changer, il est également important de reconnaître les problèmes systémiques. En ignorant ces problèmes, les agriculteurs risquent de s'opposer fermement à toute nouvelle réglementation sociale ou écologique, car ils pourraient avoir l'impression que tout le fardeau et toute la responsabilité reposent sur leurs épaules.
Lorsque l'on examine les conditions de vie des travailleurs agricoles migrants, il serait facile de blâmer l'employeur, le propriétaire de l'exploitation, sans tenir compte des raisons systémiques qui sous-tendent cette situation. Il s'agit évidemment d'un sujet très complexe, mais j'aimerais te poser deux questions. Quelles sont les conditions systémiques qui empêchent les propriétaires d'exploitations agricoles de payer et de traiter leurs travailleurs de manière plus équitable ? Quels sont les changements qui, selon toi, sont à la portée des agriculteurs ?
Ce sont deux bonnes questions, et je pense que tu as bien résumé la situation. Bien entendu, les propriétaires d'exploitations agricoles et les exploitants de serres doivent être responsables de la manière dont ils traitent leurs travailleurs, même s'ils ne contrôlent pas le contexte politique et économique général dans lequel ils opèrent. De nombreux agriculteurs du monde entier sont confrontés à la mondialisation des marchés qui rend la survie de leurs exploitations de plus en plus difficile. Ils doivent faire face à une agriculture de plus en plus industrialisée et à de grandes entreprises qui agissent comme des intermédiaires ou des chaînes de magasins d'alimentation, et qui déterminent les prix de leurs fruits et légumes.
Les exploitations que j'ai étudiées étaient de grandes exploitations familiales, un mélange d'agriculture industrielle encore gérée par des familles, quitentent de maintenir l'aspect familial de l'exploitation tout en faisant face à la concurrence des grandes exploitations industrielles. Souvent exploitées par la famille en s’appuyant sur l'aide de voisins et le travail de migrants, elles peinent à rivaliser avec ces grandes exploitations industrielles. Certains des migrants qui y travaillent sont probablement exploités et maltraités.
Lorsque ces petites exploitations font faillite, elles sont vendues à des exploitations industrielles, qui deviennent de plus en plus grandes. On peut se rendre compte de ces agrandissements aux changements et à l’uniformisation des couleurs du paysage…
De nombreux agriculteurs que j'ai appris à connaître étaient très inquiets quant à leur avenir. Ils se demandaient : "Combien de temps pourrons-nous continuer ?". Ils voulaient continuer à pratiquer l'agriculture parce qu'ils se souciaient de leurs terres et de leurs familles, mais l'ensemble du système devient de plus en plus industriel et corporatif. De nombreuses entreprises impliquées sont de plus en plus transnationales et ont beaucoup plus d'influence que les agriculteurs sur les flux d'argent. Il s'agit notamment des chaînes de magasins d'alimentation, des sociétés intermédiaires comme Driscoll's et des sociétés de la chaîne d'approvisionnement.
Dans les exploitations agricoles où tu as travaillé, par exemple, quels sont les changements qui, selon toi, sont à la portée de l'agriculteur ?
Les aspects les plus encourageants que j'ai observés dans les fermes sont ceux où les agriculteurs s'asseyaient littéralement à une table et écoutaient les travailleurs agricoles, pour engager la conversation. Il s'agissait parfois de représentants choisis par les travailleurs agricoles, parfois de n'importe quelle personne présente. En mettant en place un système dans lequel les travailleurs agricoles avaient leur mot à dire, les agriculteurs devaient entendre comment certaines règles ou pratiques les affectaient et comment ils étaient traités par les superviseurs.
Dans certaines exploitations, ces discussions ont débouché sur des syndicats permanents qui n'existaient pas auparavant, ce qui a poussé les agriculteurs à remédier aux déséquilibres de pouvoir. Les agriculteurs ont une influence significative sur les règles et les pratiques en vigueur dans leur exploitation, y compris en ce qui concerne les personnes promues à certains postes.
Il est important que l'agriculture devienne plus démocratique et que chacun, y compris les plus exploités, ait son mot à dire. Qu'il s'agisse de s'écouter et de se parler ou de former des syndicats et de négocier collectivement, ces pratiques sont cruciales. Lorsque seul l'agriculteur essaie de faire ce qu'il faut, il ne se rend pas toujours compte de tout ce qui se passe dans le système dont il fait partie. Cependant, ils ont une influence sur les promotions, les conditions de vie, la garantie que tout le monde soit payé au moins au salaire minimum et le soutien qu'ils apportent aux syndicats.
Aux États-Unis, de nombreux travailleurs, y compris la plupart des travailleurs agricoles migrants, ne sont pas syndiqués et de nombreux agriculteurs sont hostiles aux syndicats. Ce sentiment antisyndical est très répandu aux États-Unis et est lié à l'histoire, au capitalisme, au néolibéralisme et à l'individualisme. Les agriculteurs ont donc leur mot à dire sur ces questions, et c'est en partie ce que je souhaite.
Je suppose qu'il est extrêmement difficile pour les travailleurs vivant dans des situations précaires, ne parlant souvent ni l'anglais ni même l'espagnol, comme c'est le cas des travailleurs triqui avec lesquels tu as passé du temps, de se battre pour leurs droits. Que défendent ces migrants ? Peux-tu donner des exemples d'actions réussies qu'ils ont menées ?
Pour la deuxième édition de Fresh Fruit Broken Bodies, publiée en 2023, j'ai collaboré avec un historien spécialisé dans les mouvements sociaux indigènes. Ensemble, nous avons mis à jour le livre en réalisant des entretiens avec les personnes qui y figurent afin d'en savoir plus sur leurs activités au cours de la dernière décennie. L'historien a également interrogé des dirigeants de divers mouvements sociaux, notamment des syndicats, des groupes de défense des droits des indigènes de Oaxaca et des organisations indigènes binationales.
Dans l'épilogue mis à jour, nous avons abordé plusieurs développements importants. L'une d'entre elles concerne Samuel, un personnage clé du livre, ainsi que sa femme et son fils. Ils ont activement fait campagne à Sacramento pour que les travailleurs agricoles migrants soient inclus dans une législation du travail plus complète. Leurs efforts se sont concentrés sur l'extension des protections, telles que le paiement des heures supplémentaires, à ces travailleurs, qui ont toujours été exclus de ces bénéfices.
Aux États-Unis, il existe un concept connu sous le nom d'exceptionnalisme agricole, dans lequel des lois spécifiques sur le travail, telles que celles régissant le paiement des heures supplémentaires et l'assurance maladie, excluent souvent les travailleurs agricoles, y compris les travailleurs agricoles migrants. Historiquement, nombre de ces protections n'ont pas été étendues à ce groupe. Samuel et sa famille se sont efforcés de changer cette situation en plaidant à Sacramento pour l'inclusion des travailleurs agricoles migrants dans la réglementation sur les heures supplémentaires.
Samuel et l'United Farm Workers - le plus grand syndicat de travailleurs agricoles des États-Unis - ont passé deux ans à défendre cette cause à Sacramento. Leurs efforts ont abouti à l'adoption d'une loi qui rend désormais obligatoire le paiement des heures supplémentaires pour les travailleurs agricoles migrants, les alignant ainsi sur les autres travailleurs de Californie. Cette loi exige que toutes les heures travaillées au-delà de 40 heures par semaine soient rémunérées à hauteur d'une fois et demie le taux de salaire normal.
Toutefois, depuis l'entrée en vigueur de la loi, de nombreux agriculteurs et superviseurs ont trouvé des moyens de la contourner et de tromper les travailleurs. J'ai entendu parler à plusieurs reprises de situations où, lorsque les travailleurs approchent des 40 heures, les agriculteurs ou les superviseurs leur demandent d'utiliser un autre nom s'ils veulent continuer à travailler. Cela leur permet de payer les travailleurs au taux normal au lieu du taux obligatoire pour les heures supplémentaires. Bien que le changement juridique soit important, il est clair qu'une meilleure application et un véritable respect des droits des travailleurs sont essentiels pour garantir que la loi soit respectée et que ses avantages se concrétisent.
Un autre événement important concerne son neveu, David, qui, avec sa mère et le Centre binational pour le développement des communautés indigènes d'Oaxaca, a obtenu un changement majeur dans la politique d'assurance maladie en Californie. Ils ont plaidé pour que l'assurance maladie couvre toutes les personnes, quel que soit leur statut d'immigration, y compris les immigrés en situation irrégulière et les immigrés non autorisés. Cet effort a été couronné de succès, marquant un changement substantiel dans la législation.
Certaines personnes que je connais souffrent de diabète de type 2, une maladie qui peut généralement être bien contrôlée avec un traitement adéquat. Cependant, sans accès aux soins de santé, cette maladie peut devenir grave et potentiellement mortelle. Grâce au récent changement de politique, toutes les personnes que je connais en Californie ont désormais accès aux soins de santé. Bien que cette amélioration soit limitée à la Californie et ne s'étende pas à tous les États, elle représente un progrès significatif dans l'accès aux soins de santé pour de nombreuses personnes. Désormais, tous les travailleurs agricoles que je connais ont accès à des soins médicaux s'ils se blessent ; ils peuvent consulter quelqu'un à la clinique.
Le troisième progrès concerne la personne qui figure sur la couverture du livre. Elle a joué un rôle clé dans une grève de longue durée dans plusieurs fermes de l'État de Washington, dans le nord-ouest des États-Unis. Ce mouvement a conduit à la formation d'un nouveau syndicat, principalement autochtone et dirigé par des Oaxaca.
Le syndicat qui est né de la grève a non seulement instauré une forte solidarité avec les travailleurs agricoles migrants de Basse-Californie, au Mexique, mais il a également lancé plusieurs projets de transformation. L'un d'entre eux consistait à développer une ferme exploitée par des travailleurs agricoles indigènes d'Oaxaca. En outre, le syndicat a intenté une action en justice contre l'État de Washington. Il a contesté la pratique consistant à payer les travailleurs à la livre de fruits ou de légumes récoltés, arguant que ce système décourageait les pauses nécessaires pour aller aux toilettes, s'hydrater ou prendre un repas, alors que chaque minute passée à travailler a un impact direct sur leurs revenus. L'action en justice a été couronnée de succès, entraînant d'importants changements dans les pratiques de travail et renforçant l'autonomie de l'organisation communautaire et du syndicat. Aujourd'hui, dans l'État de Washington, les travailleurs ont droit à des pauses toilettes, repas et eau séparées, qui ne sont pas déduites du temps consacré à la récolte. Pendant ces pauses, les travailleurs sont payés à l'heure et non à la livre, ce qui constitue une amélioration significative des conditions de travail.
Enfin, la quatrième initiative dont nous avons parlé, est la réalisation par quatre travailleurs agricoles triquis de deuxième génération issus de ces familles d'un film intitulé "First Time Home" (Première fois à la maison), qui décrit en détail leur vie, leur famille et leurs expériences. Ce film offre un aperçu percutant de leurs histoires personnelles et leur sert de plateforme pour partager leurs récits avec un public plus large.
Il existe divers mouvements collectifs, notamment des syndicats importants, des syndicats émergents, des organisations binationales, ainsi que des groupes de jeunes désireux de remettre en question les stéréotypes dominants et de partager leur personnalité authentique.
Ces mouvements sont porteurs d'espoir. Mais, bien sûr, parallèlement, le capitalisme mondialisé, le néolibéralisme, l'agriculture industrielle et la manière dont le racisme s'inscrit dans le capitalisme à l'échelle mondiale se poursuivent et bénéficient d'un soutien solide de la part de puissantes régions du monde. Ces autres mouvements sont importants et font des différences significatives dans la vie des gens, et ils sont inspirants à bien des égards.
Dans ton livre, tu mentionnes que les cueilleurs de fruits, qui font preuve d'un haut niveau d'efficacité et de compétences techniques, sont classés comme "non qualifiés". Pendant la pandémie de COVID-19, de nombreux emplois considérés comme "non qualifiés" ont soudain été reconnus comme "essentiels". Peux-tu nous faire part de ta propre expérience en matière de cueillette de fruits ? Penses-tu que la perception des législateurs a changé depuis la pandémie ?
J'ai travaillé à plein temps sur le terrain avec des travailleurs agricoles migrants triquis pendant environ un an et demi. Lorsque nous étions dans des fermes, je vivais dans des camps de travail avec eux et je cueillais des fraises et des myrtilles une ou deux fois par semaine. Le reste de la semaine, j'observais ce qui se passait dans les cliniques voisines avec les travailleurs agricoles migrants. J'ai interrogé des propriétaires de fermes, des superviseurs de cultures, des directeurs et des chefs d'équipe pour essayer de comprendre ce qui se passait. J'ai également voyagé avec eux jusqu'à leur village d'origine et j'ai réalisé avec eux l'ensemble du circuit de migration.
Je suis devenu de plus en plus rapide dans la cueillette des fraises et des myrtilles parce que j'ai appris par la pratique et avec les gens que je connaissais. Ils m'ont enseigné des techniques utiles, comme le fait de ne pas utiliser les deux mains pour cueillir une seule fraise, ce qui était trop lent. Au lieu de cela, je devais utiliser chaque main séparément et faire sauter la partie verte de la fraise avec mon pouce pour éviter de me ralentir. Avec le temps, j'ai appris à sentir où se trouvaient les fraises sans avoir à les regarder en permanence, ce qui m'a également permis d'améliorer ma vitesse. Malgré mes efforts et mes progrès, je n'ai jamais atteint le poids minimum requis. Si je n'avais pas été un citoyen américain blanc qui ne s'intégrait pas vraiment, j'aurais été licencié et expulsé du camp de travail. Mais comme j'avais une sorte de capital social en tant que citoyen américain blanc qui était unique, qui s'intéressait à ce qui se passait et qui essayait d'en savoir plus, ils m'ont laissé rester et vivre dans le camp de travail et continuer à cueillir des baies, même si je n'étais pas assez rapide.
Mon travail de médecin est considéré comme "qualifié" par la plupart des pays du monde parce que je suis allé à l'université ou en raison des présupposés de classe selon lesquels si vous appartenez à une certaine classe, vous êtes qualifié, et si vous ne l'êtes pas, alors vous n'êtes pas qualifié. Mon travail d'anthropologue, qui consiste à lire, écrire, interviewer et observer, est également considéré comme qualifié. Cependant, le travail de cueillette des baies, celui-là même qui nous nourrit tous, n'est pas considéré avec le même niveau de respect ou de reconnaissance.
Ce travail est incroyablement difficile et requiert un haut niveau de compétence, que j'ai essayé d'acquérir et d'améliorer pendant deux saisons. Cependant, il n'est pas considéré comme qualifié selon les normes de la société. Malgré l'immense effort et l'expertise requis, le travail de ceux qui nous nourrissent littéralement n'est pas suffisamment valorisé pour être protégé par la catégorie juridique du travail qualifié. Il s'agit là d'un reflet clair de la discrimination de classe et des valeurs sociétales. Si vous consultez la définition du terme "qualifié", vous constaterez qu'elle s'applique indubitablement à ce travail. Même si je commençais à acquérir progressivement les compétences nécessaires, je ne l'avais pas fait assez longtemps pour le maîtriser complètement. Cette distinction entre le travail qualifié et le travail non qualifié met en évidence la perception biaisée de la valeur par notre société et les préjugés de classe inhérents à la manière dont nous catégorisons le travail.
Nous ne valorisons pas le travail des personnes qui nous nourrissent, ce qui est à la fois ironique et triste. C'est une chose que nous devons examiner plus en profondeur pour en comprendre les raisons. Pendant le COVID, les gouvernements ont pris conscience des conditions de vie et de travail des travailleurs agricoles migrants. Des articles de presse et des émissions de radio ont abordé ces questions, ce qui est important pour sensibiliser l'opinion publique. Je pense que la façon dont les travailleurs agricoles migrants sont traités est désormais mieux reconnue.
Ce que je n'ai pas encore constaté, ce sont des changements significatifs dans les politiques, les pratiques et les programmes concernant la manière dont les travailleurs agricoles migrants sont traités et l'endroit où ils vivent. La prise de conscience est importante, mais elle doit être exploitée par des collectifs qui font pression pour obtenir des changements réels.
En Europe, la politique agricole commune (PAC) de l'UE est très complète et comprend de nombreuses réglementations et lignes directrices, telles que la fréquence à laquelle les animaux doivent être abreuvés et l'espace requis pour chaque type d'animal. Cependant, malgré ce niveau de détail concernant le bien-être des animaux et les pratiques agricoles, la PAC n'aborde pas le traitement des travailleurs, y compris les travailleurs agricoles migrants. Cette omission est d'autant plus remarquable que ces travailleurs sont essentiels pour la récolte, la plantation et l'entretien des fruits et légumes.
Il ne s'agit pas d'assimiler les travailleurs agricoles à des animaux, mais le contraste est frappant. La politique agricole donne la priorité au traitement précis des animaux et des plantes - en détaillant leur espace, leurs besoins en eau et d'autres spécificités - mais néglige les conditions et le traitement des travailleurs humains. Ce déséquilibre appelle à une profonde introspection pour comprendre pourquoi nous accordons un soin méticuleux au bien-être des plantes et des animaux tout en négligeant les besoins et les droits fondamentaux des êtres humains. Ces travailleurs, qui peuvent venir de différents pays, avoir des couleurs de peau variées ou parler différentes langues, font partie intégrante des systèmes qui soutiennent nos sociétés. Il est essentiel de réévaluer les raisons pour lesquelles leur vie et leur bien-être ne bénéficient pas du même niveau d'attention et de protection.
Quelles similitudes et quelles différences as-tu observé entre la situation des travailleurs agricoles migrants aux États-Unis et en Europe ?
La plupart de mes recherches se sont focalisées sur les États-Unis, en particulier sur la côte ouest, en Californie, en Oregon et dans l'État de Washington, ainsi que sur la côte est, en Caroline du Nord et en Floride. Aux États-Unis, j'ai observé que les travailleurs agricoles migrants sont principalement originaires du Mexique et des pays d'Amérique centrale. Ils parlent principalement l'espagnol, bien que certains utilisent des langues indigènes ou le créole haïtien. Ces travailleurs résident souvent dans des camps de travail où les conditions de vie sont difficiles : ils sont exposés à des températures extrêmes et ne bénéficient pas du confort et du niveau de vie que de nombreux membres de notre société considèrent comme acquis.
À la fin de la première année de COVID, j'ai mené des recherches préliminaires sur le terrain dans plusieurs régions d'Europe, notamment en Espagne, en France, en Allemagne et en Roumanie. J'ai trouvé les conditions de vie des travailleurs agricoles migrants assez désolantes. Je m'attendais à ce que l'Europe, avec ses systèmes sociaux plus solides, ses filets de sécurité plus robustes et l'accent mis sur le bien-être collectif plutôt que sur l'individualisme, offre un meilleur traitement à ces travailleurs. Cependant, la réalité que j'ai rencontrée était troublante et ne répondait pas à mes attentes.
Les conditions de vie que j'ai pu observer étaient souvent horribles. Je ne peux pas dire avec certitude si elles sont meilleures ou pires qu'aux États-Unis, mais elles étaient certainement pénibles, voire pires dans certains cas. Les agriculteurs et les décideurs européens pensent également que le système agricole californien influence l'Europe. S'il est vrai que certaines entreprises californiennes ont importé leurs pratiques en Europe, il semble que les Européens utilisent parfois la Californie comme bouc émissaire pour l'exploitation qu'ils sont eux-mêmes en train de perpétrer et, dans certains cas, d'exacerber.
Ils disent : "Cette agriculture industrielle, avec ce type de traitement des travailleurs agricoles migrants, c'est la façon californienne de faire les choses". C'est presque comme s'ils laissaient entendre : "Ce n'était pas notre idée, ce n'est pas notre faute ; nous ne faisons que suivre leur exemple." J'y réfléchis encore, mais c'est troublant à entendre.
Certains travailleurs portugais sont originaires des anciennes colonies portugaises d'Afrique. Récemment, on a également constaté un afflux en provenance de diverses régions d'Asie, certaines petites villes du Portugal accueillant un nombre important de personnes originaires d'Asie du Sud ou d'autres régions asiatiques.
En Espagne, la situation est similaire. Historiquement, des accords de travail temporaire ont été conclus avec des pays comme l'Équateur. Plus récemment, la main-d'œuvre comprend des personnes originaires du Maroc, d'Afrique subsaharienne et d'autres régions.
En Allemagne, de nombreux travailleurs des champs d'asperges sont originaires d'Europe de l'Est. Toutefois, ces schémas peuvent évoluer au fil du temps. Il est essentiel de surveiller le système à long terme pour s'assurer que l'exploitation n'est pas réintroduite ou réinventée à chaque fois qu'un nouveau groupe de travailleurs arrive.
Compte tenu de la nature complexe et systémique du sujet, quelles politiques les législateurs pourraient-ils soutenir pour améliorer les conditions des travailleurs agricoles migrants tout en tenant compte des défis auxquels sont confrontés les agriculteurs ?
Ce que j'aimerais voir, c'est une discussion où les travailleurs agricoles migrants, les agriculteurs et les consommateurs se réuniraient pour répondre à leurs préoccupations et rechercher de meilleures solutions. Je ne suis pas sûre que l'agriculture industrielle soit la meilleure voie à suivre, car je ne suis pas convaincue qu'elle soit la plus saine pour les agriculteurs, pour la société ou pour ceux d'entre nous qui mangent des aliments cultivés industriellement.
Cependant, aux États-Unis, une sociologue a mené des recherches approfondies sur les conditions de travail et de vie des travailleurs agricoles migrants dans les grandes exploitations, les petites exploitations familiales et les exploitations biologiques. Malheureusement, elle a constaté que le traitement des travailleurs agricoles migrants dans les petites exploitations familiales et les exploitations biologiques est souvent aussi mauvais, voire pire, que dans les grandes exploitations industrielles. Cela peut s'expliquer par le fait que les enquêtes de l'État sont plus susceptibles de se concentrer sur les grandes exploitations, afin de s'assurer qu'elles respectent les réglementations, alors que les petites exploitations familiales et biologiques ne font pas l'objet d'inspections aussi approfondies.
Mais nous ne comprenons pas bien les raisons de cette situation. Ce qui est certain c'est que Nnous ne pouvons pas supposer que si toutes les exploitations agricoles étaient de petites exploitations familiales ou biologiques, tous les travailleurs seraient bien traités. Malheureusement, l'agriculture familiale et les pratiques biologiques n'éliminent pas les problèmes tels que le capitalisme racial ou la xénophobie. Aux États-Unis, nous avons besoin d'une meilleure application des lois existantes. Nous avons quelques bonnes lois qui protègent les travailleurs, mais leur application laisse à désirer.
Si nous avons un gouvernement, comme un président, qui ne croit pas en la protection des droits des travailleurs ou de l'environnement, alors les personnes nommées pour superviser ces protections peuvent en fait travailler à saper ou à démanteler ces systèmes. C'est une réponse partielle, mais c'est un point très important.
Si nous avons rédigé l'épilogue comme nous l'avons fait dans le livre, c'est en partie pour mettre en lumière les priorités des travailleurs que je connais. D'après ce qu'ils ont exprimé, ils sont très attachés à l'accès aux soins de santé, à leurs conditions de travail et au fait d'avoir une voix dans les conversations publiques où ils peuvent partager leurs propres expériences et être véritablement écoutés.
As-tu d'autres exemples de progrès réalisés dans les conditions de vie des travailleurs agricoles migrants depuis que tu as commencé tes recherches et que tu as écrit ton livre ?
Il est déprimant de constater qu'en dépit des efforts déployés pour mettre en lumière ce phénomène, l'intersection du racisme et du capitalisme continue d'exploiter et de maltraiter les travailleurs agricoles migrants. Cependant, j'ai été inspirée par le travail de nombreux collectifs de travailleurs agricoles migrants, dont la Coalition des travailleurs d'Immokalee en Floride, entre autres. Ils ont lancé un programme appelé "Fair Food Program" (Programme d'alimentation équitable).
Ce programme comprend des mécanismes d'application. Lorsqu'une exploitation agricole, une épicerie ou un restaurant adhère au programme, ils s'engagent à fournir des fruits et légumes conformes aux normes du programme. Cela signifie également que les enquêteurs du programme Fair Food peuvent visiter ces lieux pour s'assurer qu'ils respectent les exigences du programme. Certains des dirigeants du programme Fair Food sont eux-mêmes des travailleurs agricoles migrants, y compris des personnes d'origine indigène, ce qui leur confère un rôle direct dans l'élaboration des règlements et des exigences applicables aux épiceries et aux chaînes de restauration rapide participantes. À plus grande échelle, cette évolution est porteuse d'espoir aux États-Unis.
Le programme "Fair Food" existe désormais dans plusieurs États. L'implication des travailleurs agricoles migrants dans des rôles de leadership, contribuant à la prise de décision, ainsi que les mesures d'application qui dépassent les budgets des États, rendent le programme à la fois utile et significatif.
Comment les personnes avec lesquelles tu as travaillé et vécu trouvent-elles de la joie dans la lutte sociale et l'activisme ?
Lorsque les indigènes triquis avec lesquels j'ai travaillé sont arrivés aux États-Unis, beaucoup d'entre eux ne parlaient que le triqui et un peu d'espagnol, mais pas l'anglais. Au début, ils se sont sentis isolés et anxieux face au risque de racisme ou de xénophobie lorsqu'ils se rendaient dans les épiceries locales, ce qui les a conduits à éviter toute interaction en dehors de chez eux. Cependant, grâce à des organisations communautaires de confiance telles que United Farm Workers, le Binational Center for the Development of Oaxacan Indigenous Communities et Familias Unidas por la Justicia, ils se sont impliqués dans la défense du paiement des heures supplémentaires et de la couverture de l'assurance maladie. Cet effort collectif, soutenu par les dirigeants de la communauté, leur a permis d'acquérir la confiance nécessaire pour s'exprimer et exiger un traitement équitable, démontrant ainsi que leur plaidoyer pouvait déboucher sur des résultats tangibles.
Ils ont également constaté que les agriculteurs, les législateurs et d'autres personnes trouveraient des moyens de contourner les réglementations. Cette constatation leur a fait comprendre que leur lutte ne pouvait se limiter à obtenir le paiement des heures supplémentaires ; ils devaient veiller à ce que l'application de la réglementation soit suffisamment rigoureuse pour empêcher l'exploitation et garantir le respect de la loi. Malgré ces défis permanents, le fait d'observer leur confiance croissante et leur implication dans la formulation de leurs espoirs et de leurs priorités a été une véritable source d'inspiration. En outre, bon nombre des questions pour lesquelles ils se sont battus et des progrès qu'ils ont réalisés ont été motivants, reflétant leur résilience et leur engagement à améliorer leurs conditions.
Leurs revendications en matière de rémunération des heures supplémentaires et d'assurance maladie allaient au-delà de simples améliorations pour eux-mêmes ; ils plaidaient en faveur d'une équité systémique et de changements sociétaux plus larges. Par exemple, leur demande de rémunération des heures supplémentaires ne visait pas seulement à garantir cette rémunération aux travailleurs agricoles, mais à établir que tous les travailleurs méritaient de bénéficier de tels avantages. De même, leur lutte pour l'assurance maladie visait à garantir l'accès aux soins de santé pour tous, quel que soit leur statut. Ce qui est vraiment inspirant, c'est leur vision d'une société plus équitable où chacun est pris en charge et soigné. Leurs aspirations reflètent un engagement non seulement envers leurs propres besoins, mais aussi envers la création d'un monde meilleur pour tous, témoignant d'un profond sens de la solidarité et de l'espoir d'un système plus juste.
Comment pouvons-nous, en tant que consommateurs, faire preuve de solidarité envers les travailleurs agricoles ?
Il existe plusieurs façons de soutenir le traitement équitable des travailleurs agricoles. L'une d'entre elles consiste à acheter des produits alimentaires provenant d'exploitations agricoles et d'organisations réputées pour le traitement équitable de leurs travailleurs. Bien qu'il puisse être difficile de trouver cette information en faisant ses courses, recherchez des produits qui sont associés au Fair Food Program ou qui ont des contrats avec les United Farm Workers. Ces labels indiquent que les travailleurs agricoles jouent un rôle dans le processus décisionnel, ce qui garantit de meilleures conditions et un traitement plus juste. En soutenant ces produits, vous contribuez à promouvoir de meilleures pratiques dans l'agriculture et à défendre les droits des travailleurs. Essayez de comprendre d'où vient votre nourriture, car nos systèmes alimentaires mondiaux cachent souvent des choses et ne sont pas transparents.
Par ailleurs, lorsque vous entendez des hypothèses, des stéréotypes ou des commentaires négatifs sur les immigrés ou les travailleurs agricoles migrants, vous pouvez répliquer en disant : "En fait, les études montrent qu'ils contribuent plus qu'ils ne reçoivent, et ce n'est pas juste. Ils devraient recevoir plus". Ou encore : "J'ai lu ce livre dans lequel j'ai appris à connaître certaines de ces personnes, et elles ne sont pas comme vous le décrivez."
Le simple fait de contrer les idées reçues sur les immigrés et les travailleurs agricoles migrants peut contribuer à modifier la façon dont les gens interagissent avec eux, dont ils abordent l'agriculture et dont ils votent.
Les récentes élections en France et au Royaume-Uni, ainsi que les prochaines élections aux États-Unis, ont clairement montré que les dirigeants ont un impact sur la vie des gens, en particulier ceux qui ont peu de marge de manœuvre économique ou sociale. Il est essentiel de voter pour des dirigeants qui ne sont pas activement racistes, qui soutiennent un système équitable pour tous et qui plaident en faveur d'un système de santé solide qui ne soit pas miné par les intérêts des entreprises.
Pour les travailleurs agricoles migrants que je connais, ces questions sont cruciales car ils n'ont souvent pas d'assurance maladie et ne peuvent pas se la payer eux-mêmes. C'est pourquoi nous devons soutenir l'alimentation équitable en choisissant des produits provenant d'exploitations agricoles et d'organisations qui traitent bien les travailleurs. Nous devons également lutter contre les récits injustes en remettant en question les stéréotypes négatifs et les informations erronées concernant les travailleurs agricoles migrants. En outre, il est essentiel de s'engager dans la démocratie en votant et en soutenant des campagnes qui défendent un traitement équitable et de meilleures conditions de travail. Ces actions peuvent faire une différence significative.
As-tu des recommandations à faire à nos auditeurs qui souhaitent approfondir le sujet ?
Si vous souhaitez approfondir ce sujet, votre approche peut varier en fonction de votre situation géographique. Il est essentiel de savoir ce que les organisations de travailleurs agricoles migrants défendent dans votre région. Par exemple, près de Huelva en Espagne, vous pouvez suivre les Jornaleras en Lucha, qui mènent des campagnes et formulent des demandes spécifiques. Dans le sud de la France CODETRAS (Collectif de défense des travailleur.euse.s étranger.ères dans l'agriculture) est actif dans différents domaines. Aux États-Unis, des organisations telles que Familias Unidas por la Justicia, United Farm Workers, Coalition of Immokalee Workers et Fair Food Program sont des groupes clés avec lesquels nous pouvons nous engager. Écouter et soutenir les efforts de ces organisations peut faire une grande différence.
Pour s'impliquer, il est essentiel de comprendre ce qui se passe dans sa région et de trouver des moyens de soutenir et d'être solidaire de ces efforts. À la fin de l'ouvrage, mon co-auteur et moi-même proposons quelques suggestions sur la manière dont les gens peuvent contribuer de manière significative sans submerger les organisations communautaires. Nous avons cherché à donner des conseils pour apporter un soutien tout en respectant les capacités de ces groupes. J'espère que ces sections vous donneront des indications utiles pour vous impliquer.
Entretien réalisé par: Thomas Grandperrin